Jean-Pierre Chevènement, invité de LCI

Chevènement : "on a détruit l'école de l'intérieur"


lundi 4 juillet 2016

La Grande Bretagne doit enclencher rapidement sa sortie de l'UE !

"L’Assemblée nationale a débattu cette après-midi des suites du référendum Britannique et la préparation du Conseil européen. Si Manuel Valls s’est surtout livré à une condamnation facile et attendue des « populismes », sa déclaration est rassurante sur un point: il a indiqué clairement que la France n’était pas sur la ligne punitive de nombreux responsables européens. Le Premier ministre s’est tenu loin des déclarations délirantes qui occupent le débat depuis quelques jours. Croire que plus douloureuse sera la sortie de la Grande Bretagne de l'Union Européenne, plus dissuasif sera l’exemple pour les autres peuples européens est un réflexe primaire. 

Les citoyens britanniques ont fait leur choix, ils ne doivent pas être traités comme des enfants. Ce choix doit être doublement respecté. D’abord par les institutions européennes. Il ne serait pas étonnant que les discours d’apparence martiale se transforment en une politique de déni. Ensuite par les conservateurs britanniques, dans leurs différentes factions, qui ont choisi une attitude inquiétante depuis l’annonce du résultat. La tentation de faire trainer les négociations voire de revenir d’une manière ou d’une autre sur le vote de dimanche dernier existe. Elle doit être combattue pour une question de principe. Par ailleurs, une Europe déjà malade de l’austérité, des politiques disciplinaires, de l’effondrement de Schengen et du fédéralisme rampant peut-elle se permettre une telle période de flottement ? La France doit appeler la Grande-Bretagne à une activation rapide de la procédure de sortie prévue à l’article 50 du Traité de Lisbonne. 

Le vote britannique implique toutes les démocraties européennes. Ce vote historique doit être suivi d’effets sauf à remettre en cause gravement le pacte démocratique. Enfin, ce vote doit être suivi des bonnes questions pour nous autres, pays membres de l’UE : la crise est profonde et l’Europe telle que nous la connaissions n’a plus d’avenir car elle ne rencontre plus l’adhésion populaire. Pour en sortir, la France doit proposer une Europe de la coopération qui laisse respirer la démocratie et les Etats-nations, plutôt que rêver à « un saut fédéral » dont les conséquences seraient catastrophiques."   

(Communiqué de Jean-Luc Laurent, président du MRC et député du Val-de-Marne, mardi 28 juin 2016)

samedi 6 juin 2015

"le PS ne peut plus se dire socialiste"

Nice-matin : Quel regard portez-vous sur la gauche française aujourd'hui ? 
Jean-Pierre Chevènement : Elle est aujourd'hui clairement en fin de cycle. Depuis le référendum de 1992 sur le traité de Maastricht et en fait depuis 1983, le Parti socialiste refondé à Epinay en 1971 ne peut plus se dire socialiste, ce que Manuel Valls a d'ailleurs entériné quand il a proposé que le Parti socialiste change de nom. Le PS bénéficie d'une rente de situation institutionnelle : il revient aux affaires quand le rejet de la droite est trop fort, en 2012 par exemple. A défaut de projet social, il propose des réformes sociétales. Depuis 1984, le Front National file sa pelote. Jean-Luc Mélenchon, malgré ses qualités de tribun, a échoué à faire surgir un « Syriza » à la française. Nous allons donc entrer dans une zone de tempêtes politiques. Le monde a profondément changé. Et la gauche française n’a pas su renouveler son offre. 

Pensez-vous que les Frondeurs puissent faire imploser le PS ? 
Les Frondeurs n’ont pas su élaborer un logiciel qui les distingue vraiment de la majorité du PS, notamment sur l'Europe. 

Globalement, comment jugez-vous les trois premières années du quinquennat de François Hollande ? 
François Hollande a hérité d'un pays à la compétitivité très dégradée. Avec le rapport Gallois fin 2013, il a su formuler le bon diagnostic. Mais les mesures prises pour la reconquête de la compétitivité de l'économie française sont insuffisamment ciblées sur l'industrie. De bonnes mesures sont intervenues récemment, comme l'amortissement dégressif des investissements qui peuvent aider nos entreprises à se moderniser. En matière de technologies numériques, nos entreprises sont très en retard sur leurs concurrentes allemandes et italiennes. Emmanuel Macron a formulé un plan intéressant concernant « l'usine du futur ». Mais notre solde commercial manufacturier, la vraie mesure de la compétitivité française, s'est encore dégradé en 2014. L'appareil productif français s'est élimé. Depuis 2009, 1200 usines ont été fermées, 600 à peine ouvertes. La petite reprise actuelle se traduit par un gonflement des importations et une nouvelle dégradation du solde commercial. Il faut des mesures plus énergiques : par exemple exiger de Bruxelles que le « Crédit d'impôt compétitivité emploi » (40 milliards d’euros) soit réservé aux entreprises industrielles et ne bénéficie pas aux banques et aux grandes surfaces qui n'exportent pas. Les exportations, ce sont des biens industriels exclusivement. Par mollesse et par idéologie, nous acceptons la voie sans issue de la « dévaluation interne ».


Comment espérer vraiment sortir de la spirale du chômage ? 
En réindustrialisant le pays à partir de technologies d'avenir et en favorisant réellement les PMI. Ma conviction est qu'on devra procéder à un réaménagement d'ensemble du système monétaire européen. L'hétérogénéité de la zone euro condamne à terme la monnaie unique. Il faut lui substituer une monnaie commune et redonner de la flexibilité à ce système si on ne veut pas enfermer l'Europe dans une stagnation de longue durée. 
Encore faudrait-il qu'il en ait la volonté. 

Il faut, avez-vous écrit, repenser l’Europe vers plus de démocratie. De quelle manière ? 
Oui, il est temps de redresser l'Europe en s’appuyant sur la démocratie. Celle-ci vit dans les nations, là où on s'entend ! Il faut donc trouver un compromis entre le legs communautaire (le marché unique) et la méthode confédérale chère au général de Gaulle. Il faut construire une « Europe européenne » qui puisse se faire entendre entre les USA et la Chine. Une Europe centrée sur l’essentiel (l'économie, l'emploi, la politique extérieure) et bien sûr à géométrie variable, avec les nations volontaires. 

Face à la menace terroriste, quelles sont les mesures que le ministre de l’Intérieur que vous avez été aurait prises ? 
Le ministre de l'Intérieur actuel a fait ce qu’il fallait dans son domaine. Mais il faut mettre de la cohérence dans toute notre politique : aimer et faire aimer la France si on veut que les jeunes issus de l’immigration aient vraiment envie de s'y intégrer. Faire respecter par tous la loi républicaine et son esprit. Mettre fin aux incohérences de notre politique étrangère : on ne peut pas prétendre combattre à la fois Daesch et Bachar el Assad en Syrie : entre deux maux, il faut choisir le moindre. En Irak, on a abattu Saddam Hussein : c'était un dictateur certes, mais laïc et moderniste. L'Irak actuel est dominé par les Chiites qui n'ont pas su faire leur place aux Sunnites, ainsi jetés dans les bras de Daesch. Il faut un Irak fédéral si on veut couper Daesch des populations de l'Ouest irakien. Il n'était pas intelligent de plonger la Libye dans le chaos, pour récolter le terrorisme djihadiste au Mali et dans le Sahel et il est paradoxal de le combattre tout en faisant « ami-ami » avec ceux qui le financent. Là encore, il faut mettre de la clarté. Il faut rompre avec ce qu’Hubert Védrine a appelé l'Irreal-politik. Comme disait Jaurès : « Si on veut aller à l'idéal, il faut commencer par comprendre le réel ». 

Le modèle d'intégration à la française est-il en panne ? 
J’ai déjà largement répondu. Ni discrimination ni passe-droit : la loi républicaine pour tous, dans sa lettre et son esprit. L’intégration, ce n’est pas la négation des différences, c'est leur acceptation mais sous le toit des valeurs républicaines communes : la République laïque valorise ce que nous avons de commun (la raison, l'amour de la République et de la France) mais pas ce qui nous différencie (la religion par exemple, du ressort de choix privés). Pour ma part, ayant confiance dans l'avenir de la France, je crois en sa capacité d'intégration. Il faut surmonter la rancœur des uns et le rejet des autres. Il n'y a que la République, la vraie, avec son bonnet phrygien, symbole d'affranchissement, qui puisse le faire. 

Si c'était à refaire, vous seriez encore candidat à la présidentielle de 2002 (5,33 % des voix) ? 
Bien entendu. J'ai ouvert un chemin : celui d'un pôle républicain de salut public. Les propositions que j’ai faites gardent toutes leur pertinence. Plutôt que de s'interroger sur sa ligne politique et sur les erreurs de sa campagne, le Parti Socialiste a voulu faire de Jean- Pierre Chevènement le bouc émissaire de sa défaite. Il va retrouver le même problème en 2017, aggravé par sa cécité : Le Pen était à 17 % en 2002, sa fille est aujourd'hui à 25 %. Il serait temps de s’interroger sur la politique qui a mis le FN à cet étiage !



Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé à Nice-matin, vendredi 5 juin 2015

mardi 19 mai 2015

Chevènement : "Hollande méconnaît la spécificité de l'école"

Le Figaro : Vous êtes opposé à la réforme du collège. Pour quelles raisons ? 
Jean-Pierre Chevènement : L’école souffre depuis longtemps d’une incessante « réformite ». Pourtant, l’école a besoin de stabilité. Et les élèves issus de milieux modestes ont avant tout besoin d’une école structurée. Sa mission fondamentale est la transmission des savoirs et des valeurs républicaines. Cela ne va pas sans effort. Or, la « réforme » va toujours dans le même sens : le laxisme, au prétexte de l’ouverture et du « suivi personnalisé ». Cette réforme du collège diminue les horaires des disciplines pour promouvoir des enseignements pratiques interdisciplinaires. Or, il n’y a de véritable interdisciplinarité que sur la base de savoirs disciplinaires maîtrisés. 

Selon François Hollande, « il n’y a pas de raison qu’il y ait du statu quo à l’école, alors qu’il n’y a pas de statu quo dans les entreprises ». Que pensez-vous de cet argument ? 
François Hollande méconnaît la spécificité de l’école : c’est, en France, une institution de la République et non la juxtaposition d’établissements qui définissent eux-mêmes leur projet. Cette thèse, c’était celle de Luc Chatel. Le philosophe Alain voulait faire de l’école républicaine « un sanctuaire ». Nous en sommes loin !

Cette réforme est défendue comme le remède contre les inégalités et la reproduction sociale. N’est-ce pas utopique ? 
L’égalitarisme niveleur est l’ennemi de la démocratie véritable. Revenons à la République des Lumières ! L’« élitisme républicain »consiste à donner à chacun la possibilité d’aller au bout de ses possibilités. 

Najat Vallaud-Belkacem défend-elle bien sa réforme ? 
La ministre donne l’image d’une jeune femme qui a réussi. Je souhaite qu’elle mette son caractère au service d’une conception républicaine de l’école. Je souhaite également qu’elle écoute les conseils donnés de bonne foi et ne se mette pas dans la main de la superstructure du ministère de l’Éducation nationale… 

Parallèlement, les programmes scolaires sont revus. La proposition sur les programmes d’histoire déchaîne les passions. Quelle est votre position ? 
Il n’y a pas de démocratie qui tienne sans un puissant sentiment d’appartenance partagée. Il peut et il doit y avoir un récit national objectif qui rende compte de l’Histoire de notre peuple et lui donne envie de la continuer, en préservant dans les nouvelles générations une raisonnable estime de soi. Comment voudrait-on donner aux jeunes issus de l’immigration l’envie de s’intégrer à un pays qui ne cesserait de se débiner ? 

Dans une récente interview au Monde, Michel Lussault, le président du Conseil des programmes, estime que « l’idée de vouloir faire de l’histoire un roman national est dérangeante ». Qu’en pensez-vous ? 
Michel Lussault semble avoir oublié cette phrase de Michelet : « La France est une personne… » Ni Jaurès, ni De Gaulle, ni Mendès-France n’auraient renié cette pensée. Il confond volontairement « roman national » et « récit national ». Le roman, c’est de la fiction. On ne peut qu’être contre. Mais le récit national, lui, peut être objectif. C’est pourquoi le gouvernement qui, en République, est responsable des programmes, peut demander que le « récit national » ne valorise pas systématiquement des ombres de notre Histoire, mais nous parle de ses lumières et nous rappelle que la Révolution française a fait des juifs des citoyens français comme les autres, et qu’elle a aboli une première fois l’esclavage en 1794. Dans « récit national », ce qui semble gêner Michel Lussault, c’est l’adjectif « national ».  

On sait que le collège va mal. Quelle est l’urgence ? 
Il faut porter les efforts sur l’amont, les apprentissages fondamentaux. Bref, faire ce que François Hollande avait dit qu’il ferait pendant sa campagne.

Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé au quotidien Le Figaro, mardi 19 mai 2015

jeudi 7 mai 2015

Action en justice du MRC contre "les Républicains"

Le Mouvement républicain et citoyen (MRC) a annoncé jeudi s'associer à la démarche "Nous sommes les Républicains", initiée par un groupe d'avocats qui veut saisir la justice contre le choix de l'UMP de changer son nom en "Les Républicains". "En faisant adopter par le Bureau politique de l'UMP le nouveau nom Les Républicains, Nicolas Sarkozy a prouvé que l'idée même de ce qu'est la République lui échappait. Comment ce qui constitue notre bien commun pourrait faire l'objet d'une appropriation par un parti politique ?", dénonce dans un communiqué le MRC de Jean-Pierre Chevènement. "Il existe une différence majeure entre l'attachement et la préemption, entre l'adhésion et la privatisation. Si nous sommes tous attachés à la République, aucun d'entre nous n'en est propriétaire", ajoute-t-il. 

Le MRC estime que "par cette entreprise grossière de marketing politique, reléguant les principes et valeurs au rang de marques, Nicolas Sarkozy affaiblit ce que la communauté des citoyens a de plus précieux et ce qui fait l'identité de la France contemporaine". "A l'irresponsabilité, il ajoute le ridicule par un mimétisme de la vie politique américaine, cadre de référence de celui qui, en tant que président, a brillé par son atlantisme", souligne-t-il. Le MRC "s'oppose fermement à cette démarche dangereuse" et a décidé de "s'associer à l'action en justice du collectif Nous sommes les Républicains pour obtenir la nullité de la marque Les Républicains". 

Un groupe d'avocats a appelé le gouvernement à "agir contre l'accaparement" du terme Les Républicains par l'UMP, dont le bureau politique a adopté mardi ce nouveau nom, indiquant prévoir sinon des actions en justice. Si le gouvernement n'entreprend aucune mesure d'ici "une quinzaine de jours", Me Christophe Léguevaques et trois confrères, Mathieu Boissavy, Joseph Breham et Vincent Fillola, ont indiqué prévoir d'"introduire un certain nombre d'actions juridiques" contre le dépôt de la marque Les Républicains à l'institut national de la propriété industrielle en novembre dernier. Une pétition a été lancée sur le site http://noussommeslesrepublicains.org qui indiquait jeudi avoir recueilli 9.496 signatures.

(dépêche AFP, 07 mai 2015)

mercredi 6 mai 2015

La loi renseignement : un outil, non une panacée !

Avec la loi renseignement, votée ce jour en première lecture, la France se dote d’un outil utile. Celui-ci a le mérite de rechercher l’efficacité en comblant les « trous de la raquette » : possibilité d’écoutes mieux ciblées et plus performantes, meilleure définition de l’intervention des services, renforcement de la surveillance des sites internet grâce à un algorithme, légitimation de techniques nouvelles ou jusqu’ici sans existence légale (Imsi Catcher). En même temps c’est bien d’un outil dont il s’agit et non d’un régime juridique d’exception de type Patriot Act. 

Ce n’est pas là une nuance, c’est une différence considérable. La création d’une commission indépendante chargée d’autoriser et de contrôler les écoutes est une garantie essentielle pour les droits et libertés, renforcée par les larges possibilités de saisine du Conseil d’Etat. On ne le dira jamais assez : ce qui distingue le droit français est un contrôle en amont des actes de police, parmi lesquels figurent les écoutes administratives et l’action des services de renseignement, par un juge spécifique qui est le juge administratif. Ceux qui critiquent ce système au motif que seul le juge judiciaire serait le garant de nos droits et libertés se trompent totalement d’analyse. Le juge judiciaire joue tout son rôle en aval en cas de privation de liberté ou de voie de fait commise par l’administration. 

En dehors de ces cas qui donnent lieu à un contrôle qui intervient nécessairement a posteriori et donc après l’atteinte portée aux droits, il est essentiel de bénéficier d’un contrôle qui puisse intervenir immédiatement. Ce dernier contrôle est le fait d’un juge lui-même très sensible à la protection des droits fondamentaux comme l’a montré la jurisprudence du Conseil d’Etat depuis plus de 60 ans. Au total, c’est une loi « à la française » qui, comme beaucoup de lois qui interviennent dans un domaine sensible, demandera des moyens réels, notamment ceux de la CNCTR, afin que l’application en soit véritablement contrôlée. La loi ne pèche pas par les principes, il ne faudrait pas qu’elle vienne pécher par l’application. De ce point de vue, les assurances données par le gouvernement sont positives. Elles devront faire l’objet d’un suivi vigilant, notamment de la part du Parlement, lui-même héritier d’une tradition de gardien des libertés publiques. 

(Communiqué de Marie-Françoise Bechtel, 1ere vice-présidente du MRC et députée de l'Aisne, mardi 5 mai 2015)

mercredi 29 avril 2015

Chevènement : "L'Allemagne aime la France, mais la France adore l'Allemagne"

Hier soir, lundi 27 avril, au journal télévisé de 20h00 sur France 2 : Un titre m’interpelle : « l’Allemagne aime la France » et surtout le commentaire du présentateur Julian Bugier : « jamais la France n’a autant exporté en Allemagne : 67,7 milliards d’euros en 2014 ». J’avais gardé le souvenir d’un commentaire ironique de mon collègue allemand, Otto Von Lambsdorff me disant, en 1982, devant le déficit commercial français sur l’Allemagne, alors 28,5 Milliards de francs : « Le SME est un système de subventions à l’industrie allemande ».

J’aime beaucoup « les Echos », un journal qui rapporte des faits. Effectivement, dans son édition du 27 avril, je trouve un petit article, en bas de la page 5, intitulé : « Exportations record en Allemagne en 2014 ». Mais à côté un petit graphique apparaît : Evolution de l’écart des échanges commerciaux entre la France et l’Allemagne : les exportations allemandes vers la France atteignent 102 Milliards d’euros en 2014. L’écart qui était de 28 milliards de francs en 1982 a bondi, 32 ans après, à 35 Milliards d’euros (1 euro = 6,57 FF), soit neuf fois plus. Sans commentaires.

Comment pourrait-on illustrer mieux l’effet de la monnaie unique qui renforce les forts et affaiblit les faibles ? L’Allemagne aime la France, certes, mais à ce compte là, la France adore l’Allemagne ! 

(billet d'actualité de Jean-Pierre Chevènement)

lundi 20 avril 2015

Chevènement : "Pour être fier d'être français, il faudrait déjà avoir de la mémoire"

Marianne : La France ne mérite t-elle pas d'être aimée, car elle est le lieu par excellence où se déploie l'idée républicaine ? 
Jean-Pierre Chevènement : Aujourd'hui, il est banal de se dire républicain, mais la cohérence même du concept échappe à la plupart. « La République est un grand acte de confiance », disait Jaurès. Or, aujourd'hui, les citoyens n'ont plus confiance dans l'intégrité des responsables politiques, et les responsables politiques ont perdu leur confiance dans le civisme des citoyens. J'ai été beaucoup attaqué pour avoir souligné qu'en matière de politique économique européenne la droite et la gauche conduisaient des politiques également désastreuses. Bien entendu, des différences existent entre ces deux familles politiques, mais les dirigeants qui sont issus de l'une comme de l'autre acceptent identiquement le corset européen qui limite leur marge d'action, y compris en dehors de l'économie. Un exemple lourd de sens : en Ukraine, les Européens, sous l'influence d'une partie des responsables américains, de Joe Biden à la CIA, se laissent entraîner à un affrontement qui eût été et serait encore parfaitement évitable avec la Russie. Ils conditionnent la levée des sanctions à l'application stricte des accords de Minsk dont la partie ukrainienne refuse de mettre en œuvre le volet politique (élections locales, révision constitutionnelle en vue de décentraliser le pays). On nous a dit : « L'Europe, c'est la paix ! » Ne serait-ce pas la guerre froide, et même parfois la guerre chaude, avec cette volonté purement idéologique d'exporter ses normes pour, ultérieurement, frayer la voie à l'Otan ? Pour remonter le courant, la France et l'Allemagne ont inventé le « format Normandie », mais celui-ci ne nous affranchit pas des décisions prises à 28. Or, l'européisme conduit à l'inféodation, c'est-à-dire à l'effacement de la France. Est-ce vraiment l'Europe qui a découragé les Français d'aimer la France ? 

N'est-ce pas plutôt le fait que l'identité française soit devenue une « identité malheureuse » ? 
Je rejoins cette analyse, car, pour être fier d'être français, il faudrait déjà avoir de la mémoire. Et connaître notre histoire. Savoir nous mouvoir dans la longue durée est une aptitude que nous avons perdue. Il faut dire que les technologies, notamment numériques, concourent à l'hyperindividualisme libéral, au court-termisme et à la dictature de l'émotion, bref à un « évidement » de la démocratie, comme l'a bien montré Marcel Gauchet. En fait, deux phénomènes se conjuguent : l'européisme, dans sa fonction anesthésiante, est la conséquence de l'effondrement de la France – un effondrement qui, avant d'être civilisationnel, est politique. Après la Première Guerre mondiale, la France n'a plus trouvé dans la Russie un allié de revers ; les États-Unis, retournant à l'isolationnisme, ont refusé d'honorer la garantie donnée par Wilson à Clemenceau ; et l'Allemagne, restée en vertu du principe d'autodétermination contenu dans les 14 points de Wilson, la puissance principale en Europe, a choisi, avec Hitler, de surenchérir sur sa défaite de 1918. La manifestation du 11 janvier a montré que l'idée républicaine s'est diffusée très largement dans le corps social. Deux cent vingt-six ans après la Révolution de 1789, tout ce qui a contribué à l'isolement et à l'effacement progressifs de notre pays sur la scène européenne n'a pas porté atteinte aux « ressorts » essentiels de notre nation. 

Justement, sortons-nous d'une longue séquence d'autodépréciation ? 
Cela me paraît vraisemblable, mais la bataille n'est pas gagnée : les tenants du french bashing ne désarment pas. Le 11 janvier, avec les 47 chefs d'Etat et de gouvernement étrangers venus témoigner leur solidarité au peuple français, a constitué un sursaut magnifique, empreint de dignité, confirmant l'attachement des Français à la liberté ainsi que la permanence du rayonnement de notre pays. Le défi que nous jette le terrorisme djihadiste est une menace de longue durée. Il faut armer la République pour en triompher. Les valeurs qu'elle représente doivent être traduites en actes. Rien ne sera possible tant qu'on ne rebattra pas les cartes de la construction européenne. Le cadenassage européen par des textes néolibéraux à valeur quasi constitutionnelle (Acte unique, Maastricht, Lisbonne) nous prive de notre liberté d'action. L'européisme, en renvoyant la France a un passé dépassé, sape l'estime de nous-mêmes sans laquelle notre peuple, pas plus que tout autre, ne pourrait continuer son histoire. Contre cette tendance à l'amnésie généralisée, contre toutes les doctrines de la désappartenance et de la table rase, nous devons renouer avec la longue durée de notre histoire et travailler à sa transmission active. La redécouverte du politique, si elle a lieu, sera la résultante des chocs inévitables qui nous attendent. Avant 1940, Aragon « conchi[ait] l'armée française », mais après le traumatisme de l'occupation nazie, il célébrait « [s]a France »'. Tout n'est donc peut-être pas perdu si nous savons bâtir une alternative républicaine pour en finir avec le néolibéralisme.

(Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé à Marianne, vendredi 17 avril 2015)