Le Figaro : Vous êtes opposé à la réforme du collège. Pour
quelles raisons ?
Jean-Pierre Chevènement : L’école souffre depuis longtemps d’une incessante «
réformite ». Pourtant, l’école a besoin de stabilité. Et les élèves issus de
milieux modestes ont avant tout besoin d’une école structurée. Sa mission
fondamentale est la transmission des savoirs et des valeurs républicaines. Cela
ne va pas sans effort. Or, la « réforme » va toujours dans le même sens : le
laxisme, au prétexte de l’ouverture et du « suivi personnalisé ». Cette réforme
du collège diminue les horaires des disciplines pour promouvoir des
enseignements pratiques interdisciplinaires. Or, il n’y a de véritable
interdisciplinarité que sur la base de savoirs disciplinaires maîtrisés.
Selon François Hollande, « il n’y a pas de raison qu’il y ait du statu quo à
l’école, alors qu’il n’y a pas de statu quo dans les entreprises ». Que
pensez-vous de cet argument ?
François Hollande méconnaît la spécificité de l’école : c’est, en France, une
institution de la République et non la juxtaposition d’établissements qui
définissent eux-mêmes leur projet. Cette thèse, c’était celle de Luc Chatel. Le
philosophe Alain voulait faire de l’école républicaine « un sanctuaire ». Nous
en sommes loin !
L’égalitarisme niveleur est l’ennemi de la démocratie véritable. Revenons à la
République des Lumières ! L’« élitisme républicain »consiste à donner à chacun
la possibilité d’aller au bout de ses possibilités.
Najat Vallaud-Belkacem défend-elle bien sa réforme ?
La ministre donne l’image d’une jeune femme qui a réussi. Je souhaite qu’elle
mette son caractère au service d’une conception républicaine de l’école. Je
souhaite également qu’elle écoute les conseils donnés de bonne foi et ne se
mette pas dans la main de la superstructure du ministère de l’Éducation
nationale…
Parallèlement, les programmes scolaires sont revus. La proposition sur les
programmes d’histoire déchaîne les passions. Quelle est votre position ?
Il n’y a pas de démocratie qui tienne sans un puissant sentiment d’appartenance
partagée. Il peut et il doit y avoir un récit national objectif qui rende
compte de l’Histoire de notre peuple et lui donne envie de la continuer, en
préservant dans les nouvelles générations une raisonnable estime de soi. Comment
voudrait-on donner aux jeunes issus de l’immigration l’envie de s’intégrer à un
pays qui ne cesserait de se débiner ?
Dans une récente interview au Monde, Michel Lussault, le président du Conseil
des programmes, estime que « l’idée de vouloir faire de l’histoire un roman
national est dérangeante ». Qu’en pensez-vous ?
Michel Lussault semble avoir oublié cette phrase de Michelet : « La France est
une personne… » Ni Jaurès, ni De Gaulle, ni Mendès-France n’auraient renié
cette pensée. Il confond volontairement « roman national » et « récit national
». Le roman, c’est de la fiction. On ne peut qu’être contre. Mais le récit
national, lui, peut être objectif. C’est pourquoi le gouvernement qui, en
République, est responsable des programmes, peut demander que le « récit
national » ne valorise pas systématiquement des ombres de notre Histoire, mais
nous parle de ses lumières et nous rappelle que la Révolution française a fait
des juifs des citoyens français comme les autres, et qu’elle a aboli une
première fois l’esclavage en 1794. Dans « récit national », ce qui semble gêner
Michel Lussault, c’est l’adjectif « national ».
On sait que le collège va mal. Quelle est l’urgence ?
Il faut porter les efforts sur l’amont, les apprentissages fondamentaux. Bref,
faire ce que François Hollande avait dit qu’il ferait pendant sa campagne.
Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé au quotidien Le
Figaro, mardi 19 mai 2015