Jean-Pierre Chevènement, invité de LCI

Chevènement : "on a détruit l'école de l'intérieur"


vendredi 5 août 2011

Une petite réflexion politique d'un grand Ardennais

Aujourd’hui, c’est le 143ème anniversaire de la mort de Jacques Boucher de Perthes. Ardennais de naissance comme son patronyme l’indique, ce grand homme dont le nom est injustement méconnu du grand public est entré dans l’Histoire en 1859 par la grande porte en prouvant, avant même Charles Darwin, grâce à la découverte d’outils en silex à côté d’ossements de grands mammifères disparus, l’existence d’un homme antédiluvien. Une vraie révolution pour l’époque qui portait un 1er coup à la théorie chrétienne selon laquelle, conformément au récit biblique, l’apparition de l’Homme remontait à 4.000 ans avant J.C. et qui marquait la naissance de la Préhistoire ! Mais cet éminent spécialiste de l’Humanité ne s’est pas contenté de regarder vers le passé. Il a aussi observé avec une certaine acuité ses contemporains, notamment ces homo politicus appelés conseillers municipaux dont il a brossé en 1835 dans un ouvrage intitulé Petit glossaire une description décapante. Dans un souci d'élévation intellectuelle qui ne peut jamais nuire et non, comme ne manqueront pas d’affirmer certains, avec malice, le MRC 08 vous la livre ci-dessous. Lisez-la et vous pourrez constater, hélas, que malgré les années passées elle n’a bien souvent rien perdu de son actualité :

"CONSEIL MUNICIPAL : Réunion de citadins, ou de campagnards qui, patriotiquement, en conscience et pour le mieux, font pendant six ans à leur ville, à leur bourg, à leur village, tout le mal qu'ils peuvent, et qui, ce terme expiré, recommencent s'ils sont réélus, ou vont se reposer s'ils ne le sont pas, en s'intitulant le reste de leur vie : ancien membre du conseil municipal.
Il est vraiment à regretter que les trois quarts des communes grandes et petites, mettent si peu d'importance, ou tant d'insouciance, à la formation de leur administration locale ; elles la composent sans doute d'honnêtes gens, de bonnes gens, mais quelles bonnes gens, grands dieux ! Et à quoi sont-ils bons ? Une innovation utile, une mesure libérale, est à leurs yeux de taupe, un crime de lèse-cité; selon eux tout doit rester immobile comme la tour du beffroi. Défense d'enlever un tas de boue qui barre la rue, parce que depuis trois siècles, tout le monde s'y crotte. Une dépense de six francs empêcherait un édifice de crouler ! Ils ne la feront pas ; que dis-je, ils s'y opposeront de tout leur pouvoir, et pourquoi ? Parce que ce ne sont pas eux qui l'ont fait bâtir. Un citoyen a-t-il une idée lumineuse ; présente-t-il un plan qui puisse conduire à un bien, ou prévenir un mal : l'adopteront-ils ? Non, parce qu'un autre qu'eux l'a conçu ; mais en concevront-ils un meilleur ? Encore moins, ont-ils jamais conçu quelque chose ? Pas même que le soleil luit.
Chacune de leur réunion dont le résultat devrait être un bienfait, car je n'en doute pas, tel est leur but, devient de fait une calamité pour le pays, et vous pouvez être assurés, s'ils ne lui votent pas une perte, qu'ils lui arracheront un gain. Oui, il semble que le vertige souffle sur eux, et lorsque le hasard leur a fait adopter une bonne mesure, ils trouvent le moyen de la paralyser par le mode d’exécution. Et cela parce qu'entre des mains tremblantes ou inertes, tout vient à mal, que le lait tourne dans un pot ou il y a eu du lait tourné.
On dira qu'il n'en est pas ainsi partout, que ce tableau est forcé, qu'il y a exagération, personnalité, ou que c'est un malheur purement local. Point, il en est de même ailleurs, si ailleurs ce n'est pis, si ailleurs, à la vue courte, à l'ignorance crasse, à la sottise innée, on ne joint pas l'envie, l'intérêt égoïste, l'esprit de secte ou de parti. Mais il ne s'agit pas de donner la palme de l'absurde, ni de décider entre localité ; nous ne traitons qu'une question d'ensemble et de principe et nous dirons simplement qu'en général les conseils municipaux sont faibles de raisonnement, de science et d'intention, qu'ils ne savent pas toujours l'orthographe et presque jamais les quatre règles.
Si donc j'avais voix au chapitre, je dirais aux électeurs : les fonctions de conseillers ne sont pas de celles qui vont toutes seules, et qu'on peut jeter à la tête du premier venu, ainsi cherchez d'abord des gens qui sachent quelque chose. Si vous n'en trouvez pas, prenez ceux qui raisonnent, ou tout au moins qui ne déraisonnent pas, car c'est déraisonner que de ne rien voir. Si votre conseiller municipal a des idées lucides, des vues un peu larges, n'en eût-il pas beaucoup, c'est déjà quelque chose; rien de pis que les petits cerveaux, ils veulent tout réduire à leur jauge. Un étourdi vous nuira moins qu'un calculateur à l'envers ; l'étourdi pourra vous faire du mal ou du bien; c'est une chance à courir; mais avec l'esprit faux, l'esprit rétrograde, vous n'en avez aucune;  vous êtes assuré qu'il vous nuira toujours.
Rappelez-vous donc bien qu'un conseil municipal n'est pas une machine à enrayer, mais un attelage pour avancer et arriver s'il est possible. Les paresseux, les insouciants, les dormeurs qui ne vont aux séances que pour y bailler, y ronfler et voter au hasard quand on les réveille, sont aussi dangereux que les imbéciles ; ce sont les humeurs froides de la civilisation, maladie funeste, car l'indifférence au bien n'est pas moins nuisible que la volonté du mal. Prenez des hommes qui ont une opinion ; fut-elle hostile, ils valent mieux que ceux qui n'en ont pas, parce que ceux-là, ballottés par tous les vents, prendront alternativement la couleur de quiconque en aura et qu'au lieu d'un magistrat vous aurez une girouette.
Si par la protection du ciel vous avez gagné le pactole à la loterie des élections ; bref, si vous avez un bon conseil municipal, sachez l'apprécier, ne le découragez pas par de vaines chicanes, entourez-le de considération, et tenez-vous y, car il est probable que vous n'en aurez pas un meilleur".

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