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dimanche 8 juillet 2012

"Un sommet en trompe-l'oeil" pour l'économiste Jacques Sapir

Un succès remarquable, ce sommet ? Autant pour l’euro que pour François Hollande, rien n’est moins sûr. D’après l’économiste Jacques Sapir, seule la croissance pourra permettre à la zone euro de respirer… Et c’est une simple bouffée d’air qui a été décidée à Bruxelles. Pas de quoi sabler le champagne pour les peuples européens.

"Le sommet de Bruxelles qui s’est déroulé dans la nuit du 28 au 29 juin est vendu au grand public comme un remarquable succès du Président Français, M. François Hollande, face à la Chancelière Allemande, Mme Merkel. Il aurait imposé son pacte de Croissance et surtout, avec les Premiers Ministres Espagnol et Italien, «sauvé» l’Euro en amenant l’Allemagne à accepter des concessions importantes pour faciliter la situation financière de l’Espagne et de l’Italie.

La mise en scène a été soignée. Les marchés financiers ont réagi très positivement dans la journée du vendredi 29 juin, et l’Euro, qui était jusque-là plutôt à la baisse, s’est redressé de 2%. Dans la foulée, François Hollande a donc annoncé que la France ratifierait le pacte de stabilité voulu par l’Allemagne.

Pourtant, si l’on y regarde de plus près, la situation apparaît comme nettement moins favorable, tant pour le Président française que pour l’euro. Prenons pour commencer le fameux pacte de croissance. Son montant est parfaitement dérisoire. Avec 120 milliards d’euros à dépenser sur 3 ans, qui peut penser que cela pèsera sur l’économie de la zone euro, dont la richesse totale (le PIB) est d’environ 12 000 milliards ? De plus, sur ces 120 milliards, 55 étaient prévus de longue date en tant que fonds structurels et 35 milliards avaient été prévus en décembre dernier quand on avait annoncé l’accroissement des moyens de la Banque européenne d’investissements. Les fameux «projects bonds» ne porteront que sur…4,5 milliards.

En fait, il n’y a guère que 30 milliards d’argent frais sur ces 120 milliards, qui seront de toute manière bien insuffisants face à la situation économique de la zone euro. La pacte de croissance apparaît ainsi dans sa réalité : un prétexte pour faire voter le pacte de stabilité exigé par l’Allemagne ! François Hollande ne se contente pas de se parjurer, il se ridiculise.

Et pourtant, nous aurions bien eu besoin d’une véritable initiative de croissance, car la situation économique est grave. Oublions la Grèce et le Portugal d’ores et déjà en dépression, même s’il convient de garder en mémoire que cette dépression a des aspects tragiques dans les deux pays. L’Espagne était en récession depuis la fin de l’année dernière. Mais, depuis deux mois, tous les signes d’une aggravation apparaissent. Le PIB de l’Espagne va reculer sans doute de 1% sur l’année, voire plus.

L’Italie est, elle aussi, en train d’entrer en récession sous l’impact des mesures d’austérité décrétée par Mario Monti. Elle aussi s’apprête à connaître un recul du PIB. La France enfin, qui tablait sur une croissance de 1,5% pour 2012, ne connaîtra que 0,4% de croissance au mieux en 2011. En réalité, l’économie française est déjà en stagnation, le pouvoir d’achat recule, et les perspectives pour 2013 sont constamment révisées à la baisse.

La simultanéité de ces contractions de l’activité économique en Europe aura nécessairement un effet cumulatif. Le chômage a déjà explosé dans certains pays. Il connaîtra une forte hausse en France d’ici à la fin de cette année car 350 000 emplois au minimum sont directement menacés.

Il est pourtant clair que seule la croissance, et l’inflation doit-on ajouter, pourraient sortir la zone euro de la crise d’endettement actuelle. Or, ce qui a été décidé à Bruxelles est une bouffée d’oxygène pour des pays aux abois. L’Espagne devra trouver 280 milliards d’Euros d’ici à décembre 2012.

L’Italie aura besoin de 600 à 750 milliards (sur une dette totale de 2000 milliards) si les achats de sa dette par ses propres banques ne reprennent pas. Certes, les pays de la zone Euro ont décidé que l’Espagne comme l’Italie pourraient directement emprunter auprès du Mécanisme Européen de Stabilité (le MES), que ce soit pour recapitaliser les banques ou pour racheter leur dette. Mais, le montant de ce dernier n’est que de 500 milliards d’Euros.

On peut donc faire l’addition : d’un côté 280 milliards plus 600 milliards, soit un total de 880 milliards, et de l’autre simplement 500 milliards. Même si l’on décide, ce qui se fera vraisemblablement, d’ajouter au MES le reliquat des sommes détenues par le Fonds Européen de Stabilité Financière (le FESF), soit environ 150 milliards d’Euros, on n‘atteint que 650 milliards. Nous sommes loin du compte.

L’accord de Bruxelles de la nuit du 28 au 29 juin permettra de tenir jusqu’à la fin octobre, voire au début du mois de novembre, mais pas au-delà, et ceci à supposer que nul autre pays de la zone Euro ne demande brutalement de l’aide entre temps. Nous arrivons ici à l’extrême fin des moyens disponibles.

De plus, ces besoins financiers ont été calculés sans tenir compte de la baisse, relative ou absolue, des recettes fiscales qu’engendre la récession. Il est donc prévisible que les besoins de financement des différents pays se révèleront plus élevés que ce qui est aujourd’hui calculé. Les opérateurs sur les marchés financiers sont d’ores et déjà parfaitement capables de s’en rendre compte. Après l’euphorie issue du succès du sommet européen viendra le temps du doute, puis celui du pessimisme devant l’inadéquation des montants disponibles face aux besoins. La spéculation sur les taux d’intérêt reprendra dès cet été et nous serons à nouveau confrontés à une nouvelle crise à l’automne 2012.

À ce moment-là, on aura cédé sur le fond à l’Allemagne, en acceptant de ratifier le pacte de stabilité sans que cette dernière ne s’engage réellement à financer les déficits que la politique allemande a contribué à créer. Dès lors, nous n’aurons plus le choix qu’entre violer ce pacte avant que l’encre ne soit encore sèche ou nous enfoncer dans une logique de dépression, en suivant ainsi le chemin de toutes les politiques déflationnistes à commencer par l’exemple tragique de la déflation allemande du 1930 à 1932. François Hollande tient-il donc à être le Président qui imposera à la France un taux de chômage de 15% à 20% ? Veut-il entrer dans l’histoire sous les mêmes huées que le Chancelier Brüning en Allemagne, le Président Hoover aux Etats-Unis, ou – plus proche de nous – M. Papandréou ?

Pour l’essentiel, depuis des mois, nous repassons toujours par le même chemin. La zone Euro connaît une crise grave, qui débouche sur un sommet, où l’on trouve des solutions provisoires à la crise de liquidité mais qui sont assorties de mesures d’austérité qui renforcent en réalité la crise de solvabilité des pays européens. Après un répit de quelques semaines, ou de quelques mois, la crise réapparaît et l’on recommence. Ce sommet des 28 et 29 juin était en réalité le 19e !

Mais à chaque fois, la situation est plus dégradée, notre tissu industriel se délite un peu plus et notre endettement s’accroît. L’absence de solution de fond condamne les mesures d’urgence à n’avoir d’efficacité que pour un temps de plus en plus réduit.

Les hommes politiques et les financiers ont pu sabler le champagne vendredi. Les lendemains de fête seront très amers pour les peuples d’Europe".
(Merci à Joël Lopes du MRC 77 pour la communication de cet excellent article paru le 02 juillet 2012 dans Marianne 2)

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