Jean-Pierre Chevènement, invité de LCI

Chevènement : "on a détruit l'école de l'intérieur"


dimanche 5 février 2012

Quand les anarchistes ardennais faisaient parler d’eux...

Il y a cent dix-huit ans tout juste, la tête d’un Ardennais tombait dans un panier posé au pied d’une guillotine installée devant la prison de la Roquette à Paris. Son nom ? Auguste Vaillant ! Son crime ? Avoir voulu venger son compagnon Ravachol, anarchiste tout comme lui, en attaquant les Bouffe-galette de l’aquarium, au milieu desquels il lança une bombe remplie de clous le 9 décembre 1893.  Bien qu’il n’y ait eu aucun blessé grave, un tel attentat commis en pleine Chambre des députés ne pouvait évidemment rester impuni et la Cour d’assises de la Seine condamna le natif de Charleville-Mézières à la peine capitale le 10 janvier, après une instruction pour le moins expéditive. Curieux procédé dans une République qui servait alors de modèle aux démocrates du monde entier, mais en cette période d’attentats qui devait culminer, quelques mois plus tard avec l’assassinat du président Sadi Carnot par Caserio, il fallait faire un exemple ! Au petit matin du 5 février 1894, Vaillant s’approcha donc crânement de celle que l’on nomme parfois ironiquement la Veuve, refusa naturellement les secours de la religion et mourut en criant "Vive l’anarchie".

Dans sa brève existence qui eut la même durée que celle d’un certain Jésus, Vaillant avait passé son temps à trimarder sur les routes de France et d’ailleurs, allant gagner sa vie jusqu’en Algérie et en Argentine. Il refit cependant un court séjour dans ses Ardennes natales en 1878 : aide-puddleur à Sedan puis démolisseur de remparts à Charleville, il y fut condamné à six jours de prison pour grivèlerie, ayant omis de payer une addition de ... 90 centimes dans l’auberge de la veuve Verdavenne située sur la Place ducale. Ce n’est que plus tard, une fois installé en banlieue parisienne, qu’il se mêla aux cercles anarchistes. Pourtant, au même moment, l’Idée florissait déjà dans les Ardennes, avec 200 militants en 1894. Refusant toute participation électorale, ces anars penchaient à l’occasion pour la propagande par le fait. Ainsi, en 1891, trois ouvriers avaient fait exploser des cartouches de dynamite dans les gendarmeries de Charleville et de Revin, puis dans la résidence de l’industriel Deville, ce qui avait valu à chacun sept ans de prison. En 1894, une série d’incendies provoqua la condamnation à douze ans de bagne de Badré-Mauguière, alors conseiller municipal de Revin et distributeur bien connu du journal anarchiste Le Père Peinard.

Face à la répression, les militants n’hésitaient pas non plus à faire le coup de poing, comme à Revin en 1892 lorsqu’un quart d’œil, c'est-à-dire un commissaire de police, de Vireux qui surveillait discrètement une conférence fut reconnu et molesté par trois des assistants, dont le bouillonnant ferronnier Gustave Bouillard. Parallèlement, sur le plan des idées, les "Sans Patrie" de Charleville et les "Déshérités" de Nouzon dénonçaient sans surprise en bloc les singes et leurs bagnes, les roussins et leurs matraques, les dévots ratichons, et même les galonnards du 128ème d’Infanterie, "le beau régiment des bourgeois de Givet", dont les soldats étaient appelés à la désertion. A l’occasion, ils ne ménageaient pas non plus les "possibileux", autrement dit les socialistes, qu’ils décrivaient ainsi : "Voilà, mon vieux Peinard, ce que les socialos pisse-froid ont fait des ouvriers ! Des résignés à Revin, des votards à Nouzon et à Charleville des lèche-culs." Dans toute la vallée de la Meuse, il n’y a que dans la Pointe de Givet qu’ils étaient relativement discrets, présence d’une importante garnison oblige, même si un dénommé Adolphe Balle, surnommé Ravachol, disciple de Jean-Baptiste Clément et poète à ses heures, résida un temps à Flohimont comme revendeur de journaux.

L’élan anarchiste ardennais se prolongea ensuite avec la fondation en 1903 par Fortuné Henry d’une communauté libertaire à Aiglemont, l’Essai, qui connut une belle notoriété nationale ! Hélas, si cette généreuse expérience reçut l’aide des ouvriers de Nouzonville, elle pâtit de la présence de quelques repris de justice et elle prit fin dès 1908. Depuis, les tenants des idées libertaires n’ont pratiquement plus fait parler d’eux dans le département, sauf à l’occasion de mouvements sporadiques. Mais les Ardennes ont bel et bien été une terre d’anarchie. Dans ce contexte, pour le MRC 08, il serait choquant et pout tout dire particulièrement incongru que la 2ème circonscription du département, qui comprend essentiellement la vallée de la Meuse, devienne en juin prochain une terre d’énarchie avec l’élection du si propret et du si bien-pensant Boris Ravignon dont nous rappelons que son principal titre de gloire est d’être sorti en 2002 de cette prestigieuse école à formater les esprits...
(Nous remercions Dominique Petit pour l’aide apportée à la rédaction de cet article et nous vous invitons à consulter son site  http://anardennais.joueb.com/)

4 commentaires:

Alexandre W a dit…

Cet article est excellent, il met en évidence l'importance du mouvement "Ni dieu, ni maître" dans le département des Ardennes qui fut propice à de nombreuses idées.
Merci.

PS: Je vous pose la question à l'improviste; Sauriez-vous s'il existe des "ruines" ou des vestiges de L’Essai d'Aiglemont que l'on pourrait voir ?

Cordialement

S.Baumel a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
S.Baumel a dit…

Très chouette article, félicitations. On y apprends que rien à changé sous le soleil ardennais : Givet est toujours un bastion militaro conservateur offrant peu d'emprise à la contestation, on reproche toujours aux socialistes ( à certains en particulier ) leur inaction et leur mollesse,... Seuls les attentats contre la gendarmerie et les représentations industrielles n'ont plus eu cours depuis les évènements mixés par la fermeture de la Chiers et l'implantation de Chooz B.
Je ne pense pas que se soit regrettable d'ailleurs. Si on peut encenser le courage de la contestation, on ne peut cautionner certaines méthodes au nom d'une idéologies. On retrouve de temps en temps des anars sympathisants écolo, la non violence en crédo... jusqu'au moment ou le risque d'une violence d'état insidieusement installée sera omniprésente. La conclusion de l'article nous dit pour qui ne pas voter, en attendant dans quelques mois plus de précisions.

Anonyme a dit…

@ Alexandre W. Il semble qu'il y ait des visites organisées au site du bois de Gesly lors des Journées du Patrimoine (site de la Commune) et que des objets aient été conservés, notamment le bureau de Fortuné Henry. J'ai écrit à la mairie d'Aiglemont pour avoir des renseignements complémentaires et j'attends la réponse...