Jean-Pierre Chevènement, invité de LCI

Chevènement : "on a détruit l'école de l'intérieur"


dimanche 7 octobre 2007

Une externalisation abracadabrantesque!

Dans le monde impitoyable de l'économie, lorsque les affaires vont mal, il n'y a que 2 solutions possibles pour une entreprise: l'adaptation aux difficultés ou la politique de l'autruche qui conduit très vite au dépot de bilan puis au passage devant le tribunal du commerce qui décidera au mieux de lui donner une deuxième chance en lui accordant une période de redressement judiciaire ou au pire de la placer immédiatement en liquidation judiciaire. La première solution est bien sûr la plus souhaitable, sauf lorsque l'entreprise est un canard tellement boîteux que tout acharnement thérapeutique pour la maintenir en vie ne peut aboutir qu'à la perte des fonds privés ou publics qui y seraient injectés. Mais comment peut-on réaliser cette adaptation? Par des méthodes bien connues des économistes comme les délocalisations qui consistent à fermer un site de production jugé non rentable pour le réouvrir dans un autre endroit où le prix de la main d'oeuvre, la qualité des infrastructures ou la faiblesse des législations sociales et environnementales lui permettront de retrouver une profitabilité suffisante. Ou bien en se lançant dans la concentration, c'est à dire en rachetant des concurrents afin d'atteindre la fameuse taille critique qui permet de préserver ses marges face aux exigences des clients et des donneurs d'ordres. Ou encore en optant pour la spécialisation, qui consiste à se recentrer sur son coeur de métier et à externaliser à des sous-traitants plus qualifiés toutes les autres tâches.
Quelle belle maîtrise de la chose économique pour des gens de Gauche, êtes-vous certainement en train de penser. Mais que vient-elle faire sur ce blog à vocation politique? C'est tout simple! Cette semaine, nous avons appris que l'Etat, qui pense visiblement que "la faillite" n'est pas loin, a recours dans un domaine auquel personne ne penserait à une des trois solutions disponibles pour les entreprises. Laquelle? Pas la délocalisation, puisque le temps des colonies est aujourd'hui définitivement révolu, ni la concentration puisqu'il n'y a eu aucun nouveau transfert de compétence à l'Union Européenne. C'est donc la spécialisation et son corollaire, l'externalisation, dont nous venons d'être informé qu'elles étaient pratiquées par le CEC, le centre d'entrainement commandos de Givet. Et alors? Est-ce grave de confier sa popote ou sa blanchissserie à des sous-traitants? Evidemment non! Mais ce qui l'est pour le MRC-08 et, nous en sommes certains pour beaucoup de nos concitoyens, c'est lorsque la tâche sous-traitée par cet établissement militaire est le gardiennage du site. Vous avez bien lu, les militaires chargés de protéger notre territoire et notre population font assurer leur gardiennage par une société privée, BSI. Pour faire des économies de bouts de chandelles, l'Etat a alloué à l'encan une fonction stratégique. L'affaire pourrait se terminer là, ce qui ne serait déjà pas glorieux. Mais c'est plus grave: les gardiens privés qui n'ont pas été payés le mois dernier menacent de faire grève, ce qui a fait dire à un officier du CEC qu'alors "ce sera la sécurité du CEC qui sera engagée". Nous savions que le libéralisme avait étendu ses tentacules dans toutes les directions, nous avons maintenant la triste confirmation qu'aucun domaine ne lui échappe et qu'il agit partout comme une machine à exploiter... et à créer de l'insécurité.

2 commentaires:

Tom a dit…

Vous savez, même la privatisation de la popotte pose problème.

A quoi ça ressemble une opération de défense opérationelle du territoire autour de notre chère centrale de Chooz quand les camions rappliquent en noria pour livrer les marmites thermos du déjeuner et du dîner concoctée par une entreprise de restauration collective ? C'est une sacrée faille de sécurité. En cas de menace terroriste sérieuse, organisée, il y a fort à parier que les plans de déploiement sur les sites sensibles seront déjà connus.
Les Etats-majors doivent s'arracher les cheveux en silence.

Et tout ça pourquoi ? Parce que pour prix de notre sécurité collective, les rations de combat (dont la mauvaise réputation est très surfaite), coutent trop cher. Ca fait des années que le budget de défense sert de variable d'ajustement.
Progressivement, ce système se généralise.
Au passage, l'entretient mécanique du parc de véhicule est lui aussi progressivement sous-traité. A quand Renault Assistance sur le champ de bataille ?
Le transport régulier de troupes aussi a été vendu. La région militaire contracte très souvent avec un afrêteur d'autocars pour transporter les soldats.

Le résultat de tout cela, c'est que sous prétexte de se recentrer sur son coeur de métier - la guerre - les effectifs des compagnies de soutien ou de service ont fondu comme neige au soleil. L'armée a perdu en souplesse dans son organisation et elle va se retrouver avec un gigantesque problème social sur les bras dans les deux ou trois années qui viennent.

Elles avaient accessoirement une fonction sociale, ces compagnies. Elle permettaient d'assurer une fin de carrière "dans la maison" aux soldats couverts de gloire et de médailles, mais perclus de troubles musculo-squelettiques, de bobos plus ou moins graves que l'on ramasse inévitablement dans une activité particulièrement physique, voire violente.

Avec la professionalisation, l'armée vieillit, ce qui n'est pas très bon : à 35 ans, un Caporal-Chef ne patauge plus avec autant de bonheur dans la Meuse. La question est d'autant plus aigüe que Michele Alliot-Marie a augmenté le nombre d'annuités de cotisations pour faire valoir un droit à pension (tiens-tiens, régimes spéciaux ?) Dans le même temps, les unités poussent dehors les "vieux" avant la quinzaine d'années fatidiques qui ouvrent droit à pension. En effet, ils ne savent plus quoi faire des anciens. Il y a un effet ciseau qui est assez désastreux pour le moral.

On a là des effets en cascade de la professionalisation qui rime avec "privatisation" du service public de défense et pas du tout avec "rationalisation" des couts.

Quand les libéraux prétendent que les fonctions régaliennes de l'Etat seront préservées, ils mentent. L'avenir, nous le connaissons : la moitié des troupes stationnées en Irak sont employées par des société de sécurité privées. Ajoutons à ça les civils déguisées en soldats travaillant pour des société privées dont l'ultime avatar est le scandale d'Abu Grahib : les "militaires" mis en cause étaient souvent en réalité des employés de pénitenciers privés.
C'est du mercenariat à grande échelle, avec les conséquences désastreuses que l'on connait.

Ces gens de l'UMP, sous des dehors de patrouillottards n'aiment pas la France. Désolé d'avoir été si long, mais votre remarque pleine de mesure sur "la popotte"m'a un peu énervé.

Socialistement...

Vigilant pour l'avenir de la Pointe a dit…

Vous n'avez aucune raison d'être désolé. Votre développement est des plus intéressants. Il confirme, par des éléments précis venant de l'intérieur, ce que l'on suppose déjà à l'extérieur.
Par ailleurs, il montre que nous pensons à peu près la même chose: la professionnalisation de l'armée n'a pas été suffisamment pensée et constitue un bien mauvais coup porté à la Nation et à la cohésion de la société. Quant à votre remarque sur le fait que le budget de la Défense est devenu une variable d'ajustement, elle est malheureusement vraie et nous pouvons vous assurer que nous en sommes aussi peinés que vous.
Cordialement...