Jean-Pierre Chevènement, invité de LCI

Chevènement : "on a détruit l'école de l'intérieur"


vendredi 17 avril 2009

Le palmarès des lycées ardennais revu et corrigé


Triste département des Ardennes! Après avoir été choisi en 2006 par Nicolas Sarkozy comme symbole de "la France qui souffre", après avoir vu l'essentiel de son territoire transformé en 2007 en zone franche pour tenter d'apporter une bouffée d'oxygène à son économie moribonde, après avoir fait la Une des médias nationaux en 2008 à l'occasion du procès de l'immonde Fourniret et avoir obtenu cette même année le bonnet d'âne des départements français où il fait bon vivre par le magazine l'Express, voilà que cet hebdomadaire octroie à nos 12 lycées généraux et technologiques un classement qui n'a rien de flatteur : sur les 1.909 que compte la France, le 1er établissement ardennais (le lycée Masaryk de Vouziers) pointe à la 583ème place seulement, suivi par le lycée Chanzy de Charleville-Mézières à la 853ème et le lycée Bayle de Sedan à la 1219ème! A l'inverse, les établissements ardennais sont beaucoup plus présents en queue de tableau avec les lycées Bazin et Saint Rémi de Charleville-Mézières aux 1840ème et 1860ème places, suivis par le lycée Mabillon de Sedan à la 1875ème place et le lycée Vauban de Givet au pitoyable 1895ème rang.

Une véritable honte, qui n'augure rien de bon pour l'avenir économique des Ardennes à une époque où la qualité de la formation de la main d'oeuvre est déterminante. Cependant, si on y regarde de plus près, les choses ne sont pas aussi noires qu'il y paraît. Pourquoi ? Tout simplement parce que la méthodologie utilisée pour réaliser ce classement est très contestable. En effet, en bons professionnels de la presse que sont les journalistes de l'Express qui ont établi ce classement, ils ont tenu compte des indications du ministère de l'Education Nationale qui recommandait de croiser les 3 indicateurs de performance publiés (à savoir le traditionnel taux de réussite au Bac ainsi que le taux d'accès de 1ère au Bac et le taux de bacheliers parmi les sortants du lycée qui permettent de déterminer le degré de sélection pratiqué dans l'établissement) et de tenir compte de la "valeur ajoutée" des établissements qui mesure la capacité à faire progresser les élèves au-delà de ce que l'on pourrait attendre compte tenu de leur origine sociale, de leur âge et de leurs résultats au Brevet. Ils ont donc établi un indice synthétique composé du taux de réussite au Bac, toutes sections confondues, de la capacité à faire progresser les élèves et du caractère sélectif ou accompagnateur du lycée puis ils ont affecté un coefficient 3 au premier critère, 2 au deuxième et 1 au troisième. Une vraie oeuvre d'art à faire pâlir d'envie les meilleurs statisticiens de l'INSEE.

Hélas, ce montage mathématique, destiné à plaire aux lecteurs parents d'élève qui ne jurent presque exclusivement que par le taux de réussite au Bac, ne satisfait absolument pas les exigences de la pédagogie qui considère que la "valeur ajoutée" des établissements et leur sélectivité reflètent davantage les performances réelles des lycées. Le MRC 08 a donc estimé que s'il était possible de conserver les critères retenus par les journalistes de l'Express, il était en revanche indispensable, dans un souci de vérité, de modifier les coefficients qui leur avaient été affectés. En optant pour un coefficient 2 pour le premier critère, 4 pour le deuxième et 3 pour le troisième, on obtient ainsi le classement suivant : le lycée Bayle de Sedan à la 1ère place départementale (le rang national serait trop long à calculer, mais il y a fort à parier qu'il serait bien meilleur que celui qui a été publié!) devant le lycée Masaryk de Vouziers et le lycée Chanzy de Charleville-Mézières, soit le même trio mais dans un ordre différent ; en milieu de tableau le lycée Sévigné du chef-lieu ainsi que les lycées de Bazeilles et de Givet ; en queue de classement le lycée Saint Rémi de Charleville-Mézières précédé de très peu par celui de Mabillon à Sedan et par celui de Jean Moulin à Revin.

Sans entrer dans des considérations locales, ceux qui connaissent les Ardennes reconnaitront que ce palmarès est plus proche de la réalité ressentie par la population et donc a priori plus fiable. Pour notre part, nous retirerons 3 enseignements de ce classement revu et corrigé : le principal est que les 2 dernières places sont occupées par des établissements privés, ce qui devrait faire réfléchir ceux qui veulent détruire le système public de l'éducation (sans pour autant inquiéter les dirigeants de ces lycées confessionnels qui prétendent que "les derniers seront un jour les premiers") ; le deuxième est qu'il n'y a aucune corrélation entre la taille des lycées et leurs résultats, ce qui devrait amener les partisans de la concentration de l'enseignement dans les grands établissements de centre-ville à mettre un peu d'eau dans leur vin ; enfin le dernier est que les déterminismes sociaux jouent encore un rôle très important que les dispositifs d'enseignement différenciés chers à nos pédagogistes bien en cours n'ont toujours pas réussi à éliminer, ce qui devrait conduire les adeptes de la suppression de la carte scolaire à davantage de modération.

5 commentaires:

Ophélie a dit…

Décidément les Ardennes sont maudites! Ils finiront par nous rayer de la carte...
La place du lycée Vauban est loin d'être brillante mais les statistiques peuvent-elles amener des mesures concrètes?
Quoiqu'il en soit, je préfère être dans un petit lycée où nous sommes tout de même bien encadrés plutôt que dans un lycée de banlieue complètement "pourri"!!!

Vigilant pour l'avenir de la Pointe a dit…

Des mesures concrètes, certainement pas ! Mais il ne faut pas s'alarmer outre mesure de ce classement de l'Express. Tout simplement parce qu'il repose sur l'utilisation d'un indicateur synthétique "maison". Autrement dit, les journalistes ont choisi un certains nombre de critères qu'ils ont jugé pertinents (3) et ils leur ont affecté un coefficient.

En soi, la méthode est classique. Mais le problème est que cet indicateur synthétique ne résiste pas à l'analyse. Si les 3 critères retenus ne posent pas de problème, ce sont les coefficients qui n'ont aucun sens. Accorder un coefficient 3 pour le taux de réussite au Bac et 1 pour le caractère sélectif du lycée est ridicule ! Tout le monde peut comprendre que si un lycée n'accepte que les bons élèves en pratiquant une sélection à outrance, le taux de réussite au Bac sera excellent et vice-versa. Pire, il y des établissements qui imposent aux élèves de terminale jugés faibles de démissionner quelques semaines avant le Bac et de passer l'épreuve en candidats libres : en cas d'échec, ils n'entrent donc pas dans les statistiques de l'établisssement !

Il y a donc beaucoup d'hypocrisie dans ce classement. C'est pourquoi nous avons refait les calculs avec d'autres coefficients ... ce qui abouti immanquablement à d'autres résultats.

Ophélie a dit…

Vu comme ça, c'est sûr qu'il n'y a pas de quoi s'alarmer!
Décidément, l'hypocrisie se trouve "cachée" n'importe où...

Guillaume Sarnelli a dit…

Il faut tout de même, au-delà d'une analyse pointilleuse et "dans les règles" du barème contestable utilisé par l'Express, constater que l'hebdomadaire de Mr Barbier tend à s'acharner sur les départements en difficulté, au premier rang desquels on trouve les Ardennes. J'ai du mal à saisir l'intérêt d'un énième classement (C'est un manie dans ce magazine). Il me semble que le contexte social, économique et politique n'invite pas à créer une hiérarchie entre les différents départements français.

Par ailleurs, ce classement néglige bien des aspects. Faut-il apprendre à l'Express que la droite sarkozyste, représentée en la matière par Mr Darcos et Mme Pécresse, s'est donnée pour objectif principal le "dégraissage du mammouth" ? Dans cette optique, bien des lycées ruraux sont menacés. Les lycées ardennais le savent bien, et cela n'incite évidemment pas à la performance. Comment espèrent-il sauver nos établissements d'une fermeture ? En remplissant les classes. A la logique qualitative, nos lycées préfèrent (et c'est la situation qui l'impose) une logique quantitative. Clairement, on fait entrer en Seconde des élèves qui, peut-être, auraient gagné à être réorientés vers des filières professionnelles. Les résultats au Bac en pâtissent, mais tant qu'il y a du monde pour remplir les séries...
Alors certes, nos lycées ne sont pas brillants, mais les politiques y sont pour quelque chose.

Vigilant pour l'avenir de la Pointe a dit…

Il n'y a aucun doute là dessus, nos politiques sont pour beaucoup dans l'état actuel des lycées, et au-delà dans celui du système éducatif en général!

Si "l'Express" s'évertue à faire des classements sur tout, c'est certainement parce que c'est très vendeur. En plus, la course vers les sommets est une des bases du libéralisme que ce magazine sait si bien défendre.

Quant à nos lycées ardennais, s'ils sont mal classés, c'est pour toute une série de raisons. L'orientation de plus en plus quantitative et de moins en moins qualitative, quitte à jouer avec l'avenir de nombreux élèves, en est une, et pas des moindres. Mais il y en a aussi une autre : le petit nombre d'options offerts dans nos établissements qui pousse un certain nombre de lycéens en dehors des petits lycées et qui se traduit statistiquement par une sélectivité plus grande de nos établissements (taux de passage de seconde en terminale notamment).