Jean-Pierre Chevènement, invité de LCI

Chevènement : "on a détruit l'école de l'intérieur"


jeudi 17 novembre 2011

Chevènement : "la France risque de devenir un simple parc d'attraction"

Le sort de la monnaie unique se joue en Italie. Ce pays doit lever 300 milliards d'euros en 2012 à un taux qui dépasse 6 %. Intenable. Le remplacement d'hommes politiques élus par des technocrates européens non élus, MM. Monti en Italie comme Papadémos en Grèce (à quand M. Trichet à Matignon ?) ne réglera rien. En effet, les ressources disponibles du Fonds européen de stabilisation financière (FESF), soit 250 milliards d'euros, sont radicalement insuffisantes pour faire face à la montagne de dettes des pays « sous tension » (plus de 3.000 milliards d'euros) et particulièrement au risque d'un défaut italien. Le fameux « effet de levier » évoqué par le sommet européen de Bruxelles du 24 octobre 2011 pour multiplier les ressources du FESF par cinq a fait long feu : le « véhicule spécial » qui devait embarquer des « émergents » (Chine, Brésil, etc.) pour venir au secours de la monnaie unique est rentré vide du sommet du G20 à Cannes. 

Après l'Italie, la France est en première ligne, compte tenu de la forte exposition des banques françaises dans la péninsule. Le gouvernement français a fait une proposition intéressante : transformer le FESF en banque, pour l'adosser aux ressources théoriquement illimitées de la Banque centrale européenne. C'eût été le seul moyen de casser la spéculation pour, ensuite, relancer la croissance sur notre continent. Devant le refus allemand, la proposition française a été malheureusement retirée. Ceux qui nous parlent de « saut fédéral » nous dissimulent qu'il débouche sur un espace disciplinaire et une mise sous tutelle que les peuples n'accepteront pas, car les technocrates européens ne pourront pas supprimer les élections En fait, nul ne veut voir que le vice constitutif de la monnaie unique est d'avoir méconnu les réalités nationales : on ne peut pas transférer la souveraineté monétaire de dix-sept pays si différents par leurs structures économiques, politiques et mentales à une Banque centrale indépendante calquée sur le modèle de la Bundesbank allemande. Là est le péché contre l'esprit. Et tant qu'on n'aura pas pris en compte les réalités nationales on ne résoudra pas durablement la crise de l'euro. 

Il n'y a aujourd'hui que deux chemins : soit on change l'architecture de la monnaie unique en étendant les prérogatives de la Banque centrale, soit on essaie de rectifier l'erreur initiale en revenant à l'idée de monnaie commune autrefois prônée par Pierre Bérégovoy. Si la position du gouvernement allemand sur le rôle de la Banque centrale demeure inchangée, nous allons vers une dissociation de la zone euro à laquelle il vaudrait mieux se préparer pour en limiter les effets négatifs et ainsi préserver l'unité du marché européen. C'est le sens de la proposition que j'ai faite d'une mutation de l'euro de monnaie unique en monnaie commune. L'euro redeviendrait ce qu'était l'ECU, c'est-à-dire un panier de monnaies nationales dont les parités seraient périodiquement négociées pour tenir compte des écarts de compétitivité entre les pays. L'euro resterait la monnaie de transaction pour les échanges extérieurs. Les monnaies nationales seraient réservées aux échanges internes. Ainsi, un pôle européen respectueux des nations prendrait forme entre les Etats-Unis et la Chine. Le cours de l'euro serait fixé par les marchés. Il serait sans doute moins surévalué qu'aujourd'hui : cela redonnerait de l'air à la croissance et à l'investissement en Europe. 

Le risque majeur pour la France, si l'Italie et l'Espagne devaient reprendre leur liberté monétaire, serait de rester collée à l'Allemagne dans une petite zone euro réduite à un noyau dur - Allemagne, Benelux, Autriche, France, comme le proposaient, en 1994, MM. Schäuble et Lammers. Ce qui reste de l'industrie française ne résisterait pas à une nouvelle surévaluation de l'euro, conjuguée avec la dévaluation compétitive des pays du Sud. Or, malheureusement, les discours du président de la République (« il faut en tout point imiter l'Allemagne ») aussi bien que le tropisme des européistes benêts au sein du Parti socialiste nous enfermeraient dans ce cul-de-sac historique : la France, ayant abandonné sa base productive, deviendrait un parc d'attractions à l'extrémité du continent eurasiatique, où viendraient se reposer des guerriers économiques fatigués, allemands, chinois, japonais, américains, etc. Elle sortirait de l'Histoire. Je demande fermement que les candidats qui ambitionnent d'exercer la plus haute charge de l'Etat refusent clairement la perspective de cette petite zone euro qui serait tout simplement la fin de la France. 
(Tribune de Jean-Pierre Chevènement parue dans les échos, mercredi 16 novembre)

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